RECITS DU GOUT: Monnaie délicieuse
Par
Rodolphe Corrion
Ce conte fait partie d'une commande de l'association Culture & Hôpital dans le cadre expérimental d'un atelier multi-sensoriel Alzheimer.
Un paysan
Il vivait dans la plus grande cité à des lieues à la ronde
Une cité extraordinaire bâtie sur l’eau
Il y avait d’immenses pyramides à étages pour rendre hommage aux dieux
Des palais
De belles demeures
Des marchés
Et une foule d’habitants
Ces gens-là depuis longtemps avaient abandonné le troc pour une monnaie tout à fait singulière
En guise d’échange dans leurs transactions
Ils donnaient aux marchands des fèves d’un arbre qui poussait en abondance dans ce pays-là
On appelait cette fève cacao
Et elle ne servait guère qu’à faire du commerce
Et comme il y avait beaucoup de cacaoyers
Il y avait beaucoup de fèves de cacao
Et tout le monde était fort riche
La cité ne manquait de rien
Notre paysan vivait dans l’aisance tant il récoltait de fèves de cacao
Il avait une jolie maison
Avec plusieurs pièces
Ce qui était rare pour un paysan
Bref
Il vivait bien
Profitait bien
Et la vie était belle
Mais un jour
Les peuples voisins en eurent assez de cette richesse qui les narguait
Un soir ils se donnèrent rendez-vous dans le plus grand secret
Chaque peuple envoya un ambassadeur
Et toute la nuit durant les ambassadeurs discutèrent de leur riche et insolent voisin
Le résultat fut sans appel
Ils décidèrent de ne plus faire de commerce avec la grande cité et d’affamer cette arrogante peuplade
Les suites furent terribles
Car si la cité au début avait quelques ressources en réserve elle ne tarderait pas à les épuiser
Et bientôt ce fut le cas
Nous sommes condamnés à mourir de faim alors que nous avons plus de fèves de cacao que quiconque dit un conseiller de l’empereur
C’est rageant d’être aussi riche et de ne pouvoir rien acheter
Alors nous irons chercher nos ressources nous-mêmes répondit le monarque
Et il poussa un cri de rage
Et bientôt
Les armes à la main
Le fier peuple bâtisseur de pyramides à étages partit en guerre contre ses voisins
Mais leurs nouveaux ennemis avaient prévu cela
Et ils se défendirent si bien qu’ils repoussèrent notre peuple brillant dans sa cité et tinrent le siège de la ville
Alors les lunes qui suivirent furent terribles
Bientôt la famine fit rage
Et les habitants commencèrent à mourir les uns après les autres
Notre paysan fut touché à son tour par la catastrophe
Et il s’affaiblissait lui aussi
Il avait toujours chez lui ces fèves de cacao qui s’empilaient dans sa maison mais il ne pouvait plus rien acheter avec
Un jour
Alors qu’il regardait ce monceau de fèves
Il fut pris d’une grande colère
Terrible d’avoir tant de monnaie d’échange mais rien à échanger
Et de rage il saisit une poignée de fève de cacao et les jeta dans les braises du foyer
Epuisé par le soleil et la famine
Il tomba évanoui
Mais quelques instants après
Il fut réveillé par une odeur
Une odeur étonnante
Une odeur jamais sentie auparavant
Sa narine avait frémi à cette nouveauté et l’avait sorti de son inconscience
Il chercha d’où venait cette senteur nouvelle mais pas désagréable
Il ne tarda pas à trouver la source de tout cela
C’étaient les fèves de cacao qui avaient cuit dans les braises et dégageaient cette odeur unique
Le paysan était si surpris qu’il resta d’abord interdit
Puis
Intrigué
Et
Affamé
Il ne tarda pas à raisonner de la sorte
Si l’odeur est si bonne
Peut-être que le goût est de même
Il retira les fèves de la braise
Attendit un peu qu’elles refroidissent
Puis
Comme un aventurier découvre un monde perdu
Il croqua dans une fève de cacao
Et là
Ce fut étonnant
De fadeur
Il y a un arrière-goût se dit-il
Mais il manque quelque chose pour n’avoir pas l’impression de manger juste un haricot brûlé
Il chercha autour de lui
Regarda les maigres ingrédients qu’il lui restait
Saisit un peu de jus sucré d’un fruit qui pourrissait déjà
Le mêla aux fèves qu’il concassa
Et mis la mixture dans sa bouche
Et là
Il eut l’impression que ce goût nouveau n’était pas juste la saveur d’un aliment ordinaire
Il sentait dans sa bouche et sa gorge le goût délicat et puissant tout à la fois d’un aliment fou et délicieux
Assez vite il se rendit compte de l’étendue de sa découverte
Il mit une poignée de fèves dans un tissu propre
Et partit en direction du palais
D’ordinaire l’empereur n’aurait pas reçu un paysan aussi facilement
Mais lorsqu’il annonça qu’il avait quelque chose à manger on le laissa approcher le monarque
Il expliqua alors sa découverte à l’empereur qui le prit d’abord pour un fou notamment quand il vit le paysan jeter des fèves dans les braises
Mais L’odeur singulière qui se diffusait dans la salle d’audience fut suffisante pour le convaincre que le paysan avait fait une étonnante découverte
Les fèves furent concassées et mêlées à un sucre qu’on pouvait encore trouver dans les cuisines du palais et l’empereur mit à son tour la mixture dans sa bouche
Ce fut comme un éclair dans ses yeux
Non seulement cette fève était tout à fait comestible
Mais en plus elle était délicieuse
Voilà de quoi nous nourrir et nous donner du courage
Comment te remercier
Rien ne me sera plus doux que de voir notre peuple libre et nos ennemis chassés répondit le paysan
C’est égal dit l’empereur cette mixture est un don des dieux
Quelques semaines après
La cité avait repris courage
Et les guerriers se préparaient à combattre les assiégeants
Mais beaucoup de morts de la famine avaient décimé leur troupe
Et le nombre de guerriers était insuffisant pour combattre les ennemis
Alors le paysan eu une idée
Il se souvint de la phrase de l’empereur
Le cacao était un don des dieux
La nuit venue il prit toutes les fèves de sa réserve
Les cuisit
Les mêla à du sucre qu’il avait eu au palais de l’empereur
Et partit avec un grand sac dans lequel il y avait tout ce cacao sucré
Arrivé devant le camp d’un ennemi
Il saisit une poignée de sa mixture
La pétrit tant et tant qu’elle devint une boule brune bien ferme
Il y grava le symbole des dieux
Un ordre de partir
Et lança sa boule de toutes ses forces
La boule tomba dans la tente du chef du camp qui fut d’abord effrayé puis saisit ce curieux objet
Il vit le symbole des dieux et l’injonction de partir
Il crut d’abord à une ruse de la cité assiégée
Puis il sentit l’odeur étonnante et nouvelle de cette boule singulière
Et il fut pris d’une irrésistible envie de mordre dedans
Il ne se souvenait pas d’avoir goûté pareille chose
C’était savoureux
C’était merveilleux
Un bonheur tout à fait inédit
Il n’y a que les dieux qui peuvent faire pareille nourriture se dit le chef du camp
C’est assurément les dieux qui ont envoyé cette boule
Et le message est clair il faut partir
Et comme le paysan avait rusé de la même manière en envoyant une boule gravée dans tous les autres camps
Le lendemain
A l’aube
Tous les assiégeants partirent
Persuadés d’avoir eu le privilège d’avoir goûté à la nourriture des dieux
Cela valait bien de laisser la cité jalousée en paix
Notre paysan ne dit jamais ce qu’il avait fait car il ne voulait pas que la cité s’en vante et finisse par trahir le secret
L’empereur fit confectionner beaucoup de cette mixture et en dégusta souvent
Cela devint un aliment rituel qu’on ne mangeait que dans l’enceinte sacrée
Mais le secret fut trahi plus tard et tous les peuples aux alentours commencèrent à manger cette pâte de fève de cacao
De nombreuses lunes après
Des hommes à la peau claire arrivèrent dans la cité
Ils découvrirent le cacao et l’usage qu’on en faisait
Ils le rapportèrent dans leur monde
Et les rois de leurs contrées en raffolèrent
Et bientôt ce fut le monde entier qui consomma cette nourriture merveilleuse
En pâte
En boisson
Et même glacée
Rodolphe Corrion
Ce conte fait partie d'une commande de l'association Culture & Hôpital dans le cadre expérimental d'un atelier multi-sensoriel Alzheimer.
Il était
une fois
Dans un
pays très lointain où les aigles côtoient les serpentsUn paysan
Il vivait dans la plus grande cité à des lieues à la ronde
Une cité extraordinaire bâtie sur l’eau
Il y avait d’immenses pyramides à étages pour rendre hommage aux dieux
Des palais
De belles demeures
Des marchés
Et une foule d’habitants
Ces gens-là depuis longtemps avaient abandonné le troc pour une monnaie tout à fait singulière
En guise d’échange dans leurs transactions
Ils donnaient aux marchands des fèves d’un arbre qui poussait en abondance dans ce pays-là
On appelait cette fève cacao
Et elle ne servait guère qu’à faire du commerce
Et comme il y avait beaucoup de cacaoyers
Il y avait beaucoup de fèves de cacao
Et tout le monde était fort riche
La cité ne manquait de rien
Notre paysan vivait dans l’aisance tant il récoltait de fèves de cacao
Il avait une jolie maison
Avec plusieurs pièces
Ce qui était rare pour un paysan
Bref
Il vivait bien
Profitait bien
Et la vie était belle
Mais un jour
Les peuples voisins en eurent assez de cette richesse qui les narguait
Un soir ils se donnèrent rendez-vous dans le plus grand secret
Chaque peuple envoya un ambassadeur
Et toute la nuit durant les ambassadeurs discutèrent de leur riche et insolent voisin
Le résultat fut sans appel
Ils décidèrent de ne plus faire de commerce avec la grande cité et d’affamer cette arrogante peuplade
Les suites furent terribles
Car si la cité au début avait quelques ressources en réserve elle ne tarderait pas à les épuiser
Et bientôt ce fut le cas
Nous sommes condamnés à mourir de faim alors que nous avons plus de fèves de cacao que quiconque dit un conseiller de l’empereur
C’est rageant d’être aussi riche et de ne pouvoir rien acheter
Alors nous irons chercher nos ressources nous-mêmes répondit le monarque
Et il poussa un cri de rage
Et bientôt
Les armes à la main
Le fier peuple bâtisseur de pyramides à étages partit en guerre contre ses voisins
Mais leurs nouveaux ennemis avaient prévu cela
Et ils se défendirent si bien qu’ils repoussèrent notre peuple brillant dans sa cité et tinrent le siège de la ville
Alors les lunes qui suivirent furent terribles
Bientôt la famine fit rage
Et les habitants commencèrent à mourir les uns après les autres
Notre paysan fut touché à son tour par la catastrophe
Et il s’affaiblissait lui aussi
Il avait toujours chez lui ces fèves de cacao qui s’empilaient dans sa maison mais il ne pouvait plus rien acheter avec
Un jour
Alors qu’il regardait ce monceau de fèves
Il fut pris d’une grande colère
Terrible d’avoir tant de monnaie d’échange mais rien à échanger
Et de rage il saisit une poignée de fève de cacao et les jeta dans les braises du foyer
Epuisé par le soleil et la famine
Il tomba évanoui
Mais quelques instants après
Il fut réveillé par une odeur
Une odeur étonnante
Une odeur jamais sentie auparavant
Sa narine avait frémi à cette nouveauté et l’avait sorti de son inconscience
Il chercha d’où venait cette senteur nouvelle mais pas désagréable
Il ne tarda pas à trouver la source de tout cela
C’étaient les fèves de cacao qui avaient cuit dans les braises et dégageaient cette odeur unique
Le paysan était si surpris qu’il resta d’abord interdit
Puis
Intrigué
Et
Affamé
Il ne tarda pas à raisonner de la sorte
Si l’odeur est si bonne
Peut-être que le goût est de même
Il retira les fèves de la braise
Attendit un peu qu’elles refroidissent
Puis
Comme un aventurier découvre un monde perdu
Il croqua dans une fève de cacao
Et là
Ce fut étonnant
De fadeur
Il y a un arrière-goût se dit-il
Mais il manque quelque chose pour n’avoir pas l’impression de manger juste un haricot brûlé
Il chercha autour de lui
Regarda les maigres ingrédients qu’il lui restait
Saisit un peu de jus sucré d’un fruit qui pourrissait déjà
Le mêla aux fèves qu’il concassa
Et mis la mixture dans sa bouche
Et là
Il eut l’impression que ce goût nouveau n’était pas juste la saveur d’un aliment ordinaire
Il sentait dans sa bouche et sa gorge le goût délicat et puissant tout à la fois d’un aliment fou et délicieux
Assez vite il se rendit compte de l’étendue de sa découverte
Il mit une poignée de fèves dans un tissu propre
Et partit en direction du palais
D’ordinaire l’empereur n’aurait pas reçu un paysan aussi facilement
Mais lorsqu’il annonça qu’il avait quelque chose à manger on le laissa approcher le monarque
Il expliqua alors sa découverte à l’empereur qui le prit d’abord pour un fou notamment quand il vit le paysan jeter des fèves dans les braises
Mais L’odeur singulière qui se diffusait dans la salle d’audience fut suffisante pour le convaincre que le paysan avait fait une étonnante découverte
Les fèves furent concassées et mêlées à un sucre qu’on pouvait encore trouver dans les cuisines du palais et l’empereur mit à son tour la mixture dans sa bouche
Ce fut comme un éclair dans ses yeux
Non seulement cette fève était tout à fait comestible
Mais en plus elle était délicieuse
Voilà de quoi nous nourrir et nous donner du courage
Comment te remercier
Rien ne me sera plus doux que de voir notre peuple libre et nos ennemis chassés répondit le paysan
C’est égal dit l’empereur cette mixture est un don des dieux
Quelques semaines après
La cité avait repris courage
Et les guerriers se préparaient à combattre les assiégeants
Mais beaucoup de morts de la famine avaient décimé leur troupe
Et le nombre de guerriers était insuffisant pour combattre les ennemis
Alors le paysan eu une idée
Il se souvint de la phrase de l’empereur
Le cacao était un don des dieux
La nuit venue il prit toutes les fèves de sa réserve
Les cuisit
Les mêla à du sucre qu’il avait eu au palais de l’empereur
Et partit avec un grand sac dans lequel il y avait tout ce cacao sucré
Arrivé devant le camp d’un ennemi
Il saisit une poignée de sa mixture
La pétrit tant et tant qu’elle devint une boule brune bien ferme
Il y grava le symbole des dieux
Un ordre de partir
Et lança sa boule de toutes ses forces
La boule tomba dans la tente du chef du camp qui fut d’abord effrayé puis saisit ce curieux objet
Il vit le symbole des dieux et l’injonction de partir
Il crut d’abord à une ruse de la cité assiégée
Puis il sentit l’odeur étonnante et nouvelle de cette boule singulière
Et il fut pris d’une irrésistible envie de mordre dedans
Il ne se souvenait pas d’avoir goûté pareille chose
C’était savoureux
C’était merveilleux
Un bonheur tout à fait inédit
Il n’y a que les dieux qui peuvent faire pareille nourriture se dit le chef du camp
C’est assurément les dieux qui ont envoyé cette boule
Et le message est clair il faut partir
Et comme le paysan avait rusé de la même manière en envoyant une boule gravée dans tous les autres camps
Le lendemain
A l’aube
Tous les assiégeants partirent
Persuadés d’avoir eu le privilège d’avoir goûté à la nourriture des dieux
Cela valait bien de laisser la cité jalousée en paix
Notre paysan ne dit jamais ce qu’il avait fait car il ne voulait pas que la cité s’en vante et finisse par trahir le secret
L’empereur fit confectionner beaucoup de cette mixture et en dégusta souvent
Cela devint un aliment rituel qu’on ne mangeait que dans l’enceinte sacrée
Mais le secret fut trahi plus tard et tous les peuples aux alentours commencèrent à manger cette pâte de fève de cacao
De nombreuses lunes après
Des hommes à la peau claire arrivèrent dans la cité
Ils découvrirent le cacao et l’usage qu’on en faisait
Ils le rapportèrent dans leur monde
Et les rois de leurs contrées en raffolèrent
Et bientôt ce fut le monde entier qui consomma cette nourriture merveilleuse
En pâte
En boisson
Et même glacée