LE CORPS DE L'AUTRE


Par
Rodolphe Corrion


Ce texte, librement inspiré de « La garçonne et l’assassin » de Fabrice Virgili et Danièle Voldman, est une commande de la compagnie italienne Filastrofici. Il a été composé en mai-juin 2015 et constitue la seconde partie d'un diptyque.



[…]

1

(Louise est endormie)

Paul :
 Louise
 Louise
 Lou-ise

Louise :
 Dégage

Paul :
 Louise

Louise :
 Dégage Paul
 Dé-gage

Paul :
 Louise

Louise :
 Dégage Paul
 Arrête
 Dégage je t’ai dit
 Laisse-moi

Paul :
 Louise

Louise :
 Laisse-moi dormir
 Combien de nuit que je ne dors pas
 Laisse-moi
 Dormir
 Dormir
 Dormir
 Juste dormir

Paul :
 Louise

Louise :
 Juste dormir

[…]

2

(Louise est éveillée)

Louise :
 Salaud
 Impossible de me rendormir maintenant
 Tu n’as vraiment rien d’autre à faire que de venir me
 Me
 Faire chier
 Y’a pas d’autre mot
 C’est pire qu’avec un mioche qui chouine
 Il faut le nourrir toutes les deux heures
 Bah là c’est pareil
 Tu veux pas aller te trémousser ailleurs pendant que j’essaie de me reposer
 Tu m’entends
 Me re-po-ser
 Juste être un peu bien
 Et toi qui dégages
 Hein

Paul :
 Louise

Louise :
 Ferme-la
 Va en voir d’autres
 T’as tous tes copains du bois qui attendent que tu viennes te frotter
 Je les ai vu chialer au tribunal ils attendent que ça que tu reviennes
 Alors dégage
 Moi je veux juste du repos
 Etre bien
 Seule
 Plus de cri
 Ni de marmot ni d’ivrogne
 Alors je suis bien
 Je voudrais être bien
 Hein

Paul :
 Louise

Louise :
 Paul
 Je sais que tu vas essayer de me ramener à toi
 Mais ça marche pas Paul
 J’en ai soupé de toi
 J’ai pas besoin de toi avec moi
 Ce que j’ai besoin tu le sais Paul tu le sais puisque je te le demande j’ai besoin moi de dormir
 C’est pas trop compliqué ça hein
 Alors laisse-moi
 Dégage et plus de bruit
 Dehors
 Il fait nuit noire à part dormir rien à faire
 Et puis le miroir là il me
 Pff
 Il me
 Argl
 Il me
 Fout les jetons
 J’ai besoin d’autre chose que de me voir moi ma face de cadavre sur ce corps fa
 Fa
 Fa-ti-gué
 Hein

Paul :
 Louise

Louise :
 Paul j’ai pas besoin de toi pour voir ma face dans le miroir j’ai besoin juste de
 Dormir
 Je crois
 Et me voir dans le miroir encore plus de fatigue ça me donne
 Alors oui je veux ronfler en paix
 Donc
 Pfiou
 Evanouies-toi
 Disparais
 Plus là plus de Paul Paul n’est plus là et Louise peut
 Enfin
 Dormir
 C’est clair

Paul :
 Pas Moyen
 Tu rêves ma pauvre
 Je pars pas
 Je reste
 C’est tout

Louise :
 Le salaud

[…]

3

(Louise regarde le miroir)

Paul :
 Tu te trouves comment

Louise :
 Laide

Paul :
 Forcément

Louise :
 Quoi forcément
 Forcément quoi
 Tu crois quoi que c’est parce que je t’ai
 Et que notre petit Paul est
 Que là quand je regarde ma face verte dans cette putain de glace moi forcément
 T’es pas un peu con Paul de penser ça
 Je dis laide pas parce que je me sens mal de tout ce qui est
 Arrivé
 Je dis laide parce que je suis laide
 Parce que tellement d’années à avoir peur de toi et cette salope de guerre et ces putains d’années à te planquer dans des robes et toi qui buvais et le mioche tellement fragile qui pleurait et que tu risquais de cogner voilà pourquoi moi aujourd’hui je suis laide
 Y’a pas de forcément
 Y’a que des parce que
 Forcément c’est bon pour toi à cause du flingue et pour faire la victime mais ça c’est des conneries tu le sais très bien
 Alors y’a pas de forcément c’est clair

Paul :
 Ouais
 Enfin
 Je comprends

Louise :
 Y’a rien à comprendre
 Y’a juste à écouter
 Y’a pas juste à te regarder le nombril mais à m’écouter
 De toute façon je suis une bête
 Pourquoi je discute avec toi
 C’est moi qui suis là pas toi
 Toi t’es rien toi
 Toi tu dégages de toute façon
 T’es comme qui dirait juste entre deux trains
 Alors tu dégages et c’est moi qui cause et c’est moi qu’ai raison le reste va te faire voir

Paul :
 Bien ma caille

Louise :
 Ma caille mes fesses
 Y’a plus de caille
 La caille elle est verte et elle cause avec toi en pleine nuit au lieu de ronfler

Paul :
 Ma caille verte

Louise :
 Paul
 T’es qu’une bête 

[…]

4

(Louise inspecte son ventre)

Louise :
 Est-ce que tu en feras un autre
 Est-ce que tu en feras un autre
 Garçon ou fille rien à foutre
 La seule question
 Est-ce que ça sera possible

Paul :
 Oui tu pourras je pense

Louise :
 Tu en sais quoi la tarlouze

Paul :
 J’en sais rien
 Je dis ça pour causer

Louise :
 Ta gueule
 Ferme ta gueule si c’est pour causer
 Le silence maintenant j’aime bien
 Si c’est juste pour causer juste ta gueule

Paul :
 Tu n’es plus la même du tout
 Avant il fallait la radio toujours
 Et les mômes bof
 Et là
 Plus un bruit et tu pleurniches devant une robe de baptême

Louise :
 Ta gueule
 Je dis pas j’ai jamais dit que je voulais un môme j’ai simplement dit je me suis simplement demandé est-ce que tu en feras un autre
 Ça te dit rien à toi tu n’as rien pour en faire mais moi je me demande
 Voilà

Paul :
 Ok ma poule

Louise :
 Je suis pas ta poule
 Une poule ça pond des œufs
 Moi je ponds rien du tout
 J’ai pondu une fois
 Un mioche maigrelet
 Et en plus il est même plus là
 Une mère sans son môme tu parles d’une volaille

[…]

5

(Paul fouille dans un sac)

Louise :
 Tu fais quoi là

Paul :
 T’occupe

Louise :
 Pourquoi t’as un sac

Paul :
 T’occupe je te dis

Louise :
 Bizarre non que tu aies un sac
 Ça te sert à quoi un sac
 A rien ça te sert
 Ça te sert à rien
 Pas besoin de sac pour toi
 Dans ton
 Etat
 Si

Paul :
 Putain mais t’occupe bordel

Louise :
 Paul
 Tu arrêtes
 Des années à t’entendre me parler comme ça et maintenant
 Plus question que je
 Tolère

Paul :
 Tu emploies de ces mots dis donc

Louise :
 Sale pédé

Paul :
 
 Je peux encore te filer une raclée

Louise :
 N’importe quoi
 Me faire chier ça tu peux
 Mais me filer une raclée
 Que dalle
 Tu peux rien
 Tu peux juste me regarder
 Je peux juste t’entendre
 C’est tout
 Rien d’autre

Paul :
 Si je peux te filer une raclée
 Je peux
 Tu la sentiras pas comme les autres
 Tu la sentiras comme ça d’un coup
 Tu la sentiras comme un souffle peut-être
 Mais elle te percera le cœur

Louise :
 Et c’est moi qui utilise des mots compliqués
 C’est tes potes du bois qui t’ont refilé des livres de poésies sale tapette

Paul :
 Mais ferme-la
 Tu aimes le silence maintenant non
 Alors juste ferme-la

Louise :
 Tu cherches quoi

Paul :
 Occupes-toi de ton cul
 Je cherche c’est tout

Louise :
 Tu cherches quoi
 Paul t’es chez moi
 Tu brises mon silence
 Ce putain de silence que j’aime
 Et en plus tu réponds pas à mes questions

Paul :
 C’est moi qui te parle si je veux toi tu peux attendre pour la réponse à une question


Louise :
 Va te faire foutre sale tant’

(Paul sort une robe du sac)

Paul :
 Ah la voilà

[…]

6

(Paul met la robe)

Louise :
 Tu fais quoi là

Paul :
 T’occupe

Louise :
 Pourquoi encore remettre cette putain de robe Paul

Paul :
 Tu m’aides

Louise :
 Va te faire foutre
 Je veux rien avoir à faire avec ça
 Tu n’as pas besoin de ça tu es comme tu es
 Comment ça se fait que tu aies encore ça
 Tu devrais rien avoir de ce genre
 Pas besoin de sac
 Et encore moins de robe
 Tu n’aurais pas dû
 On n’aurait pas dû te laisser ça

Paul :
 T’en sais quoi
 Qu’est-ce que tu en sais de ce qu’on aurait dû et ce qu’on n’aurait pas dû me laisser
 C’est toi qui es là à ma place ou c’est moi
 Hein
 Alors ferme-là

Louise :
 Paul
 Même là tu as besoin de cette connerie de robe

Paul :
 Besoin de rien
 Je suis bien avec c’est tout

Louise :
 Ben oui
 C’est ça le problème
 Mais je pensais que tu te reposerais maintenant
 Plus besoin de robe pour te sentir bien
 Juste être bien
 Comme moi
 Je cherche ça
 Juste être bien
 Par principe
 Non

Paul :
 Peut-être
 Sais pas
 Mais bon
 Suis avec toi donc repos bof
 Et puis tu parles alors bof bof
 Et puis tu me fais chier
 Alors bof bof bof

Louise :
 Même en robe connard tu fais le malin

Paul :
 Oui chérie
 Même en robe
 Allez fais pas la gueule
 Tu vois bien que c’est pas si déplaisant
 Je te plais toujours

Louise :
 Paul

Paul :
 Oui

Louise :
 Paul

Paul :
 Oui

Louise :
 Je parle pas aux tapettes

[…]

7

(Paul danse en robe)

Paul :
 Pourquoi c’est agréable de se trémousser
 Je sais pas
 Je suis vraiment une femme quand je danse
 Je suis elle
 C’est cela qui a tout compliqué
 Je crois que c’est parce que j’aimais ça
 Etre elle
 Et plus l’homme mais la femme
 Mais je ne sais pas si c’est elle ou si c’est une femme que j’aimais être
 Etre femme c’était comme un jeu
 On se laisse vite prendre
 La vie devient un jeu
 On s’amuse comme un gosse
 On est un autre tout le temps comme les mioches qui jouent sans arrêt
 C’est fou en fait
 Et tous ces trucs que vous vous mettez les bonnes femmes les rouges les bas
 C’est des vrais personnages en fait
 Pas étonnant que les types soient fous de vous
 Maquillées et fringuées comme des chanteuses de cabaret la moindre fille d’usine
 Nous eau et savon et brillantine c’est le grand luxe
 Alors ouais j’adore Suzanne
 Avec elle c’est le café-concert tout le temps putain
 Et les regards des types qui bavent sur leur chemise
 Et tous ces potes du bois qui gravitent autour d’elle
 C’est marrant c’est moi mais je dis elle comme si c’était pas moi alors que c’était bien moi c’était bien moi mais retourné comme si on avait pris ma peau qu’on l’avait retournée et qu’on voyait Suzanne dans l’envers de Paul
 Héhé
 Suzanne ma poulette tu fais des ravages tu es la reine tu les fais tous chavirer homme ou femme rien ne te résiste
 Le laitier en renverse ses gamelles
 La logeuse y voit que du feu
 Leur tête quand je suis redevenu Paul
 Leur tête
 Trop drôle
 Trop drôle que Paul revienne
 Ca faisait drôle ouais
 Pas vraiment apprécié en fait
 Drôle genre je ricane de les voir stupéfait de me voir moi Paul et pas
 Madame Suzanne
 Mais aussi drôle genre ça fait bizarre quoi comme un frisson de rhume qui te casse le cou et le front quand tu couves une sacrée saloperie de grippe de merde
 Ça fait drôle comme pas bon du tout comme ça fait chier
 Mais je dis ça maintenant
 Avec le
 Le
 Re-cul
 Parce qu’en fait je me souviens bien d’avoir été fier comme un coq de sortir avec mon futal et pas ces fringues de pisseuses
 C’est quoi déjà le mot quand on ressent plusieurs trucs pas pareils
 Am
 Am
 Am-bi-va-lent
 Voilà
 Et toi
 T’en dis quoi toi
 Louise
 T’en dis quoi

Louise :
 J’en dis rien

Paul :
 Un effort Louise

Louise :
J’en dis que tu me fais chier avec tes

Paul :
 Louise bordel
 Arrête
 Je suis pas là avec toi pour que tu me repousses
 Je suis là pour que tu te poses ces putains de questions
 Et moi je fais des tas d’efforts pour t’aider à te poser les questions comme y faut et même en passant par des biais et toi tu me repousses mais putain t’es vraiment qu’une pourriture de femme
 Une chienne d’égoïste
 Parce que qui a tiré avec ce foutu flingue
 Hein

Louise :
 Ta gueule

Paul :
 C’est qui bordel

Louise :
 Ta gueule tarlouze

Paul :
 C’est qui bordel bordel bordel

Louise :
C’est moi sale chien qui ai tiré avec cette putain d’arme c’est moi qui t’ai tiré dessus sur toi j’ai tiré c’est ça que tu veux entendre mais les juges y m’ont dit acquittée ils ont dit pas coupable ils ont dit la pauvre petite et ils ont dit sale type ce Paul une belle ordure et une tant’ par-dessus le marché une sale tant’ mon Dieu qu’ils ont dit protège-nous du Malin et de la Tentation
Et tous tes copains du bois sont devenus blancs parce qu’ils étaient là eux à savoir si leur Suzanne serait ca
Cano
Ca
Ca-no-ni-sée
Et vlan la sale tant’ direct aux ordures
Alors ta robe de pute tu peux te la mettre au cul parce que c’est terminé Suzanne
C’est terminé le bois
C’est terminé les conneries

Paul :
 Louise
 Tu vas pleurer un peu

Louise :
 Ta gueule Paul
 Mon Paulot
 Mon chéri
 Tu vas te faire foutre
 Je pleure pas pour toi
 Je pleure pour moi
 Tout est pour moi maintenant
 Plus de connard
 Plus de petit Paul à langer non plus
 Plus rien
 Alors quand je marche dans un bois quand je siffle un litre ou quand je pleure c’est juste pour moi tout pour moi pour toi que dalle

Paul :
 C’est mieux ça Louise
 Mais pourquoi tu parles de siffler
 Tu bois rien toi
 Du lait tout au plus
 Tu buvais pas avant
 Alors d’où ça sort ça

Louise :
 Ça vient de rien je bois un peu y a pas que toi qui a le droit

Paul :
 Louise
 Je suis là pour

Louise :
 Je sais bordel
 Alors trémousse-toi pendant que je réfléchis

Paul :
 Je peux me dandiner longtemps
 Tu as toujours su tout faire avec tes mains mais le reste que dalle
 Tu penses à rien dans la tête t’as des nuages qui flottent dans un ciel bleu
 Ça fait ton charme d’ailleurs mais bon

Louise :
 Ouais bah maintenant je n’ai plus rien d’autre que ça
 Obligée de penser pour ne pas me retrouver encore avec un salopard dans ton genre

Paul :
 Louise

Louise :
 Quoi
 Encore

Paul :
 Tu penses à moi
 Souvent

Louise :
 Non

Paul :
 Franchement

Louise :
 Non

Paul :
 Franchement

Louise :
 Non

Paul :
 D’ac’
 T’es une sacrée mauvaise menteuse
 Tu penses à moi parce que même si je t’en ai fait baver tu étais là
 Alors maintenant
 Sûr que tu penses à moi
 Tu m’as dans la peau

Louise :
 Ouais
 Comme une maladie

Paul :
 Salope

[…] 

8

(Louise devant Paul)

Louise :
 Bon
 Paul
 Ecoute
 Tu m’écoutes
 Ecoute
 J’ai compris
 Tu es là
 Avec moi
 Pas le choix
 Tu ne partiras pas
 Je peux te supplier comme une dingue tu seras là toujours

Paul :
 Ah
 Et pourquoi

Louise :
 Parce que je veux que tu sois là

Paul :
 Et

Louise :
 Et
 Malgré que tu m’aies cogné
 Plusieurs fois
 Malgré que tu t’en rinçais de moi
 Souvent
 Je sais que tu m’aimais
 Et que je t’aimais
 Voilà

Paul :
 Louise

Louise :
 Oui on s’aimait
 On s’aime nous
 Comme des fous

Paul :
 Louise

Louise :
 Quoi

Paul :
 Louise
 Tu voudrais que j’te dise merci
 Tu voudrais que je dise oui c’est ça
 Et que je parte pour toujours

Louise :
 Non
 Je dis juste que tu es là pour entendre ça

Paul :
 Pour moi entendre ça
 Mais rien à foutre moi d’entendre ça

Louise :
 Oui c’est vrai pardon
 Rien à foutre toi
 Tout ce que je fais et tout ce que je dis c’est moi pour oublier mieux
 Après

Paul :
 C’est quoi le nom

Louise :
 Le nom

Paul :
 Le nom
Putain
 Le putain de nom de ça
 Oublier mieux

Louise :
 Le nom

Paul :
 Le nom bordel

Louise :
 Le nom c’est

Paul :
 C’est

Louise :
 C’est

Paul :
 C’est

Louise :
 C’est

Paul :
 Putain le nom le putain de merde de nom de ce bordel de truc d’oublier c’est quoi

Louise :
 Le deuil putain
 C’est le deuil c’est ça que tu veux entendre le deuil
 Tu es là pour que je fasse mon deuil et je t’ai sur le dos parce que j’ai pas fait ce putain de deuil de toi de l’autre et de nous
 Nous tous
 Les trois putain
 Toi
 Lui
 Et nous
 Merde

Paul :
 Louise
 Bah voilà
 Tu crois que c’est pour ça que je suis là

Louise :
 Oui
 Tu es là pour m’aider à faire ce
 Deuil
 Voilà
 Et quand je l’aurai fait quand j’aurai enfin pu le faire le deuil de tout ça tu partiras et je pourrai putain dormir

Paul :
 Tu crois que t’as trouvé Louise

Louise :
 Oui sale tant’

Paul :
 Louise
 Tu me prends pour un con
 Tu crois pas que c’est avec tes niaiseries que tu vas me dégager de là

Louise :
 Putain mais je t’ai tout dit là

Paul :
 Tu sais très bien le problème
 C’est pas le deuil le problème

Louise :
 C’est quoi alors
 Hein
 C’est quoi

Paul :
 Je peux pas le dire
 Faut que tu trouves toute seule
 Et vu comme t’es fine c’est pas gagné

Louise :
 Paul
 Arrêtes
 Tu crois pas que j’en ai soupé assez de ton ton envers moi
 Je suis pas ta chienne
 Alors tu la boucles

Paul :
 Ah
 Tu chauffes ma caille

Louise :
 Quoi

Paul :
 Je dis
 Tu chauffes ma caille

Louise :
 J’ai entendu
 Et ça veut dire quoi

Paul :
 J’ai dit
 Tu chauffes ma caille
 Tu as dit je suis pas ta chienne
 Et je t’ai dit tu chauffes ma caille

Louise :
 Quoi
C’est parce que tu me parles mal que tu restes

Paul :
 Si on veut

Louise :
 T’arrêtes avec tes jeux là
 Tu la craches ta vérité

Paul :
 Moi rien à dire
 Débrouille-toi
 Moi je suis la tarlouze tu t’rappelles
 Débrouille-toi
 T’as qu’à chercher dans ton p’tit pois
 Y doit y avoir que’qu’part la solution à ton problème

Louise :
 Paul
 Tu pues
 T’as toujours pué
 Et même là où tu devrais plus rien sentir tu pues comme t’as jamais pué

[…]

9

(Louise encore devant Paul)

Louise :
 Bon
 Je commence à en avoir plein le dos
 Il faut que tu craches tout là
 Je dois savoir si oui t’es là pour le deuil ou bien

Paul :
 Louise arrête
 Ca sert à rien de me faire les gros yeux
 Tu ferais mieux de faire tourner ton petit pois je t’ai dit
 Je n’ai rien à dire c’est à toi de te débrouiller
 Moi je m’en rince maintenant
 Je suis là j’attends
 C’est toi qui débrouilles ta vie
 Alors secoue ton haricot et tu verras bien

Louise :
 Je tourne en rond là
 Faut que j’aille voir ailleurs
 J’arrive pas dans cette chambre trop petite et toi qui traînes
 J’arrive pas
 Je voudrais sortir faire un tour et ne plus te voir à mon retour
 S’il te plaît je peux pas t’enfouir loin et ne plus penser qu’à trimer boire manger dormir
 Maman arrêterait de me dire que je suis blanche comme ses jupons et je pourrais enfin enfin enfin res
 Res
 Res-pi-rer
 T’en penses quoi

Paul :
 Tu fais la roublarde
 Tu penses que tu sors boire un canon et voir l’eau du canal et tout est réglé
 Tu reviens je suis plus là
 Et l’autre Paul non plus il a disparu
 Et hop tu reprends
 Non mais tu crois quoi
 Quand je dis que t’as un pois je me trompe pas
 Tu peux me traiter de tant’ si tu veux mais au moins en Suzanne j’étais comme une femme dans ma tête et j’avais autrement de jugeotte que toi
 Toi rien que de l’air que t’as dans la tête
 T’es trop chou mais alors rien dans le ciboulot

Louise :
 Enfoiré
 Tu m’insultes
 Encore
 Mais bordel dégage
 J’en peux plus
 Je veux me casser loin là
 Ou m’abrutir
 Ou me flinguer peut-être
 Mais dégage
 Dégage dégage
 Même après tout ça
 Le flingue
 Ce putain de procès
 Mon nom dans ces canards
 Et les gens qui me regardent avec fa
 Fa
 Fa-sci-na-tion
 C’est elle qui a tiré
 C’est elle
 La femme de la tarlouze
 Et le petit Paulot qui toussait
 Et sans cesse cet effroi de te réveiller que tu le cognes encore que cette petite merde toute fragile tu la cognes comme un
 Comme un
 Comme un
 Putain mais pourquoi tu cognais bordel
 Jamais cru que ça m’arriverait à moi d’être avec toi et que tu cognes
 Pourquoi mais pourquoi

Paul :
 Ah
 Tu brûles mon moineau
 Tu commences à sentir d’où que ça vibre
 Tu le sens que ça vibre tu le sens bien

Louise :
 Quoi c’est ça le problème
 Tu crois que c’est ça

Paul :
 Moi je crois rien
 Moi j’attends juste
 Je ressors mes frusques et je me trémousse en attendant que tu sortes les trucs de toi

Louise :
 Attends mais c’est toi qui cognais
 C’est pas moi
 C’est toi le cogneur le salaud
 C’est pas moi qui tapais sur Paulot et sur moi

Paul :
 Ouais
 C’est moi
 J’étais noir
 Noyé de sommeil
 Epuisé par ce boulot de con
 Et je cognais le chiard qui chialait
 Et toi tu dormais pas

Louise :
 Non je dormais pas
 J’avais trop peur
 Je voulais que tu t’endormes tellement
 Que tu rêves de toute cette vinasse que tu préférais au p’tit pour me laisser nous laisser en 
 Repos

Paul :
 Gaffe Louise tu vires curé là

Louise :
 Ta gueule
 Je sais que c’est la bonne piste
 Tu sens bien que je vais me débarrasser de toi là
 Tu l’as mauvaise en fait
 T’es qu’un con
 T’as eu une vie de connard
 Et là bientôt dégagé le Paul
 Avec sa robe de tarlouze et ses cadavres de vinasse

Paul :
 Ouais bah te réjouis pas trop vite
 M’est avis que c’est pas demain la veille que je pars et que tu te débarrasses
 Pas encore vraiment trouvé le problème je crois Louise  tu veux trop faire simple
 Alors que c’est
 Com-pli-qué

Louise :
 Bordel j’en peux plus

[…]

10

(Louise étendue)

Paul :
 Louise

Louise :
 Tais-toi
 Je ne t’écoute plus
 Tu n’es plus là alors je n’ai pas de raison de t’écouter
 Je vais m’endormir tellement je suis crevée
 Demain j’irai au turbin comme d’habitude
 Et demain soir épuisée d’avoir si peu dormi la veille et d’avoir trimé je m’endormirai de suite en rentrant
 Et toi
 Pfiou
 Evanoui comme un cauchemar de merde
 Fini le Paul
 Et voilà

Paul :
 Mais quelle bête
 Je vais rester là
 A danser en robe
 Et ça va te sembler interminable tellement ça sera long
 Et tu me supplieras d’arrêter
 Mais je continuerai
 Car j’y peux rien je suis là pour ça
 Faut que tu te débarrasses de moi
 Pas que tu fasses semblant
 Alors débrouille-toi pour trouver vite pourquoi je reste
 Et tu seras enfin li-bé-rée
 Ok ma poule
 T’en dis quoi
 Hein

Louise :
 Paul
 Ok
 On va faire autrement

(Louise se lève et va chercher une robe)

Paul :
 Tu fais quoi là

Louise :
 Je viens danser avec toi
 Je mets cette robe-là qui me va si bien tu me disais
 Et on va danser
 Je veux
 Avec toi
 Tu ne pars pas
 Tu restes
 Moi je veux juste respirer
 Alors je vais danser
 Avec toi
 Pour re-être avec toi
 Un peu
 Avant que tu t’en ailles

Paul :
 Pff
 N’importe quoi

Louise :
 Allez

(Louise se met à danser contre Paul)

Paul :
 Mais qu’est-ce qui te prend
 T’as jamais dansé comme ça avant

Louise :
 Ouais
 Avant j’avais peur
 Peur d’être ridicule
 Peur qu’une autre se moque de moi
 Peur que tu me lâches de honte si je me trémoussais trop
 Mais maintenant je m’en fous
 Maintenant je t’ai tiré dessus
 Alors la gêne rien à foutre
 Je peux me trémousser contre toi que même tes admiratrices du bois elles ont jamais osé contre toi
 Pourtant quand tu les fourrais elles devaient bien trembler
 Hein

Paul :
 Mais ça va pas de parler comme ça
 Tu la fermes ok

Louise :
 Pourquoi
 Et si en fait c’était ça la solution
 Que je me trémousse et me rapproche de toi
 Je fais tout pour te dégager et toi pas moyen tu crèches ici

Paul :
 Pas une raison pour être vulgaire
 Tu te tiens s’il te plait

Louise :
 Pourquoi ça serait toi qui aurais le droit et pas moi
 Pourquoi moi rien
 Pourquoi j’ai jamais rien su dire à tes conneries
 Tu désertes de cette saloperie de boucherie de guerre je dis rien même si je risque la taule
 Tu t’habilles en femme pour sortir sans être reconnu et m’oblige à vivre avec toi comme ça je dis rien parce que je t’aime
 Tu me sors au bois
 Tu m’obliges à couvrir tes saloperies de tarlouze tu fourres des poules et tu laisses des types te chevaucher on s’engueule mais tu cries et tu me cognes parce que tu veux faire tout tout tout ce que tu veux
 Et moi rien j’attends que tu sois satisfait
 Et ça continue
 Tu bois comme un puits
 J’attends un lardon
 Le gosse arrive il pleure souvent comme tous les mioches tu cries tu le secoues tu me cognes
 Tu rentres à pas d’heure
 Noir de vinasse
 On doit se taire pour te laisser dormir
 Alors quoi toujours toujours toujours toi
 Et moi alors hein salaud

Paul :
 Louise
 Arrête
 Tu fais la fine mais rien à foutre moi tu sais je suis comme je suis j’ai jamais menti moi rappelle-toi ma perm’ et la poule du seizième
 Tu savais que même marié je voulais de la liberté

Louise :
 Liberté mon cul
 Tu voulais juste fourrer et te faire fourrer
 Juste m’avoir sous la main quand ça te chantait
 Hein
 Et moi je devenais quoi alors
 Je devenais quoi Paul

(Louise commence à serrer Paul contre elle)

Paul :
 Louise
 Arrête
 Tu me fais mal

Louise :
 Comment je pourrais
 Je peux pas t’atteindre que tu disais
 Je t’ai pourtant buté avec ce putain de flingue hein mon Paulot et tu t’en souviens bien

Paul :
 Arrête tu commences à me foutre la frousse

Louise :
 C’est bien plus que ça mon amour
 J’ai compris comment me débarrasser de toi
 Je dois te rendre ce que tu m’as fait
 Tu m’a marqué comme du bétail en m’épousant et j’ai été à ton service sale connard mais maintenant c’est moi qui vais te marquer
 Je vais laisser mon empreinte sur toi sur ton corps
 J’ai des marques de toi sur moi
 La trace de mon alliance encore là
 Quelques marques que tu as laissées sur mon corps avec tes coups
 Et ta queue en moi dont je me souviens encore
 Mais là c’est l’inverse mon amour
 Je vais laisser mon empreinte sur ton putain de corps
 Mes bras qui t’enserrent
 Mes mains qui s’enfoncent dans ta chair de cadavre
 Je t’ai buté une fois mon Paulot je peux le refaire

Paul :
 Louise
 Arrête j’étouffe

Louise :
 Normal mon chéri
 Tu es en train de partir définitivement
 Tu dégages mon Paulot d’amour
 Je te rends la pareille
 Ça fait un bien fou de t’oppresser
 Qu’une fois au moins tu ne gagnes pas
 Que tu ressentes ce que j’ai ressenti et pourquoi j’ai sorti le flingue pendant que tu ronflais pour en finir avec toi
 Et pourquoi ils m’ont acquittée

Paul :
 Louise
 Argl

Louise :
 Paul
 Mon Paulot
 Mon chéri
 Je t’aime mon Paul
 Mais
 Ne crois pas que je sois heureuse
 Juste j’ai besoin de sentir ton corps fondre contre le mien
 J’ai besoin d’autre chose que des regards compatissants ou épouvantés
 J’ai besoin d’autre chose que d’un juge qui m’acquitte
 J’ai besoin moi aussi d’avoir l’impression de te posséder de posséder le corps de l’autre au moins une fois
J’ai tout perdu Paul toi le petit juste après
Je repars du début Paul mais ma face est verte comme une grenouille alors un peu de ton rose pour les joues ne me fera pas de mal
Tu dois partir maintenant et me laisser avec mon vide mon rien ma merde à gérer toute seule puisque maintenant je n’ai plus à craindre ta masse ronflante dans le lit juste à côté tremblant de l’éveiller tremblant qu’elle me frappe et qu’elle marque encore plus mon corps épuisé

(Louise lâche Paul qui s’écroule)

Paul :
 Louise
 Salope
 Tu chauffes pas tu brûles
 Tu t’embrases
 Tu me chasses de toi ma caille
 Tu seras toute seule tu entends
 Tu es prête sale chienne à vivre sans ton mari
 Tu es prête à être vraiment toute seule devant le monde entier et leur dire merde et tout recommencer comme si je n’avais jamais existé

Louise :
 Tu seras toujours un peu là
 On oublie pas un salaud dans ton genre
 Mais on s’en remet
 Ou du moins
 On essaie
 Sinon tu gagnes
 Et je veux pas Paul
 Je veux que tu perdes
 Je veux un mari et pas d’histoire
 Comme les filles du boulot
 Comme si rien s’était passé
 Moi je sais au fond de moi j’oublie pas sur mon corps je sens encore ton souffle chaud tes baisers et tes phalanges qui claquent
 Ton putain de corps je l’oublie pas mais il est plus là
 Il est mort ton corps il est plus là
 Juste je m’en souviens
 Un peu
 Pas fort
 Comme si tu m’effleurais à peine

Paul :
 Ok ma poule

Louise :
 Ouais
 Plus jamais tu reviens Paul
 Plus jamais
 Ton corps je m’en souviens
 C’est suffisant

[…]

EPILOGUE

(Louise est seule ; elle saisit la robe de « Suzanne » et la secoue avec précaution ; elle soupire les yeux fermés)



    

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